Comme d'habitude, j'arrive un peu après la guerre. En effet, j'étais passée à côté de ce roman phare de La Rentrée Littéraire 2021, car c'était une époque où je lisais peu de livres contemporain "adultes". Mais bon, qu'importe car Mon Mari de Maud Venture trônera sans conteste parmi mes meilleures lectures de l'année 2024.
C'est une femme toujours amoureuse de son mari après quinze ans de vie commune. Ils forment un parfait couple de quadragénaires : deux enfants, une grande maison, la réussite sociale. Mais sous cet apparent bonheur conjugal, elle nourrit une passion exclusive à son égard. Cette beauté froide est le feu sous la glace. Lui semble se satisfaire d'une relation apaisée : ses baisers sont rapides, et le corps nu de sa femme ne l'émeut guère. Pour se prouver qu'il ne l'aime plus - ou pas assez - cette épouse se met à épier chaque geste de son mari comme autant de signes de désamour. Du lundi au dimanche, elle note méthodiquement ses "fautes", les peines à lui infliger, les pièges à lui tendre, elle le trompe pour le tester. Face aux autres femmes qui lui semblent toujours plus belles, il lui faut être la plus soignée, la plus parfaite, la plus désirable. On rit, on s'effraie, on se projette et l'on ne sait sur quoi va déboucher ce face-à-face conjugal tant la tension monte à chaque page.Avec un résumé pareil, j'étais déjà attirée, mais le livre a été bien au-delà de mes attentes. En un mot : il est génial (au sens strict du terme "génie"). L'autrice nous plonge dans le quotidien d'un couple qui rentre parfaitement dans le cliché du couple hétérosexuel aisé : deux enfants, une belle maison pavillonnaire, des professions "prestigieuses"... Mais, au fil du livre, on est immergé plus profondément dans leurs secrets et on se rend compte de la toxicité de ce pseudo-mariage heureux. La lecture en devient plus que dérangeante, mais paradoxalement encore plus envoûtante. C'est ce côté noir, sarcastique, irrévérencieux que j'ai adoré dans le roman et qui fait que j'ai autant accroché.
L'autre originalité du roman, c'est son héroïne, la narratrice, la femme du couple. Je ne veux pas trop vous en dire sur ce personnage, mais c'est typiquement le genre de personnage qu'on adore détester. Elle est cruelle, remplie de contradictions et totalement obsédée par son mari et en même temps, elle est touchante et on a presque pitié pour elle face à sa détresse psychologique. J'ai été fascinée par la capacité de Maud Ventura à créer, en si peu de pages, un personnage complet et complexe, avec une psychologie foisonnante. Le fait d'avoir accès aux réflexions du personnage renforce également le côté dérangeant car finalement, on a presque l'impression d'être son/sa psychologue.
La construction du livre est très habile et parfaitement maîtrisée. Il est est divisé en parties correspondant aux jours de la semaine. Si on pourrait s'attendre à une forme de redondance, ce n'est pas du tout le cas : au contraire, la tension monte crescendo et la lecture devient de plus en plus addictive jusqu'à la fin. Une fin aussi surprenante et renversante que le reste du livre, qui permet de souligner la cohérence du roman, qui garde le même ton jusqu'au bout, tout en poussant l'histoire a son paroxysme.
Je tiens également à souligner la qualité de la plume de l'autrice. C'est le genre de plume qui vous donne envie de lire et d'écrire encore et encore. Fluide et efficace, elle se caractérise aussi par une vraie maîtrise du langage (chaque mot compte) et une forme de poésie qui apporte une valeur ajouté au prosaïsme du roman.